URL: https://linuxfr.org/news/le-proces-de-julian-assange-commence-le-7-septembre-2020-est-toujours-en-cours Title: Le procès de Julian Assange, commencé le 7 septembre 2020 est toujours en cours Authors: dzecniv BAud, Pierre Jarillon, Davy Defaud, Yves Bourguignon, Ysabeau, Benoît Sibaud, ariasuni et Lawless Date: 2020-09-07T21:16:41+02:00 License: CC By-SA Tags: Score: 5 Le lundi 7 septembre ont démarré les audiences en vue de l’extradition de Julian Assange vers les États‑Unis. Visé par dix‑huit charges, il risque cent soixante‑quinze années de prison. Il est jugé à Londres pour les États‑Unis. Il n’est ni accusé ni poursuivi en Grande‑Bretagne. ---- ---- # L’accusation La justice américaine souhaite juger l’ex‑rédacteur en chef de _WikiLeaks_ pour son rôle dans la diffusion de plusieurs séries de documents classés secrets, dont ceux fournis en 2010 par Chelsea Manning, qui détaillaient les exactions de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. L’acte d’accusation revient longuement sur les liens entre WikiLeaks et le collectif de hackeurs LulzSec, auteur de plusieurs intrusions à partir l’année 2011. Julian Assange est accusé d’avoir joué un rôle actif dans la diffusion des documents récupérés par LulzSec lors de la récupération illicite des courriels de la société de renseignement privée Stratfor. Il aurait soutenu les hackeurs dans leur opération et leur aurait fourni un logiciel permettant d’effectuer des recherches au sein des courriels récupérés. Il les aurait également incités à mener d’autres opérations. [_Mediapart_] Ces éléments ne signifient pas que Julian Assange ait été directement impliqué dans l’intrusion chez Stratfor, comme le souligne le site _Gizmodo_ qui pointe plusieurs incohérences dans le scénario déroulé par le ministère public. Mais ils restent pourtant inquiétants pour le fondateur de _WikiLeaks_. En janvier 2015, la justice avait déjà refusé d’accorder le bénéfice du premier amendement au journaliste Barrett Brown, poursuivi pour avoir contribué à la diffusion des courriels de Stratfor. Il avait été condamné à soixante‐trois mois de prison ainsi qu’à verser 900 000 dollars à la société. [_Mediapart_] # Le procès actuel À la fin du mois de juin dernier, le ministère public américain a dévoilé un nouvel acte d’accusation, ne comportant pas de nouvelles charges, mais incluant de nouveaux éléments tendant à nier sa qualité de journaliste en l’accusant d’avoir favorisé des piratages de documents et sollicité des hackers. [_Mediapart_] L’audience se tient dans des conditions difficiles. Elle ne se déroule pas dans la prison de Belmarsh, trop petite, mais à la Cour criminelle de Old Bailey [1], en visio‐conférence, dont plusieurs organisations de journalistes, dont RSF, se plaignent de la « mauvaise qualité ». Le père de Julian Assange a interpellé notre garde des Sceaux, Éric Dupond‐Moretti, lui demandant d’agir pour que « l’État français prenne l’initiative de proposer à Julian Assange l’asile politique ». « Les conditions politiques et juridiques sont semble‑t‑il réunies pour qu’un tel statut puisse bénéficier au prisonnier politique le plus connu au monde actuellement », estiment les signataires. Pourquoi a‑t‑il écrit à lui et pas au président de la République ? Il se trouve que M. Dupond‑Moretti a rejoint l’équipe de défense d’Assange début 2020, et lors d’une conférence de presse organisée à Paris le 20 février, le futur ministre affirmait avoir réclamé un entretien avec Emmanuel Macron pour lui demander d’accueillir le fondateur de _WikiLeaks_. [_Mediapart_] # Son état de santé inquiète Le lundi 1ᵉʳ juin, des médecins avaient interdit au fondateur de _WikiLeaks_ d’assister à une [audience par visioconférence en raison de « problèmes respiratoires »](https://www.abc.net.au/news/2020-06-02/julian-assange-too-ill-to-appear-at-court-for-extradition/12309956). Lors de l’audience du 14 août, la juge Barrister a fait état d’un rapport psychiatrique montrant une dégradation de la santé mentale de Julian Assange ces dernières semaines. Les avocats du fondateur de _WikiLeaks_ dénoncent depuis de nombreux mois les conditions de détention de leur client. Placé à l’isolement, celui‑ci ne dispose de quasiment aucun document et n’a pas pu s’entretenir avec son équipe juridique depuis plusieurs mois. [_Mediapart_] Il est emprisonné de manière préventive. Est‑ce un prolongement de la détention pour l’affaiblir et l’amener à la mort ? # Ses futures conditions de détention probables inquiètent aussi La dernière semaine des audiences a permis d’avoir un aperçu des futures conditions de détention possibles, d’après plusieurs spécialistes du système carcéral américain qui sont venus témoigner. Outre l’ameublement minimal, tout est fait pour que le prisonnier ne croise personne de la journée. Il a droit à deux heures de promenade chaque jour, mais tout seul. Il a le droit d’aller à la bibliothèque, mais quand il n’y a personne d’autre. Il a droit à deux fois quinze minutes d’appels téléphoniques par mois, et il doit prévenir les autorités deux semaines en avance, et ses conversations peuvent être évidemment écoutées. Pas de contact lors des visites. Bref, des conditions aux conséquences psychologiques souvent lourdes, d’autant plus qu’on s’inquiète déjà de la santé mentale actuelle de Julian Assange. Et, bien sûr, ces descriptions étaient contestées par l’accusation, se basant sur des rapports fédéraux pour décrire des « prisons modèles », et que rien n’indiquait que Julian Assange irait en isolement. # Pourquoi défendre Assange ? Supposons un journaliste belge spécialisé dans les affaires chinoises et qui publierait des révélations embarrassantes pour la Chine, que celle‑ci estimerait mettre sa sécurité en danger. Ce journaliste, de passage dans un pays sensible aux pressions chinoises, serait interpellé par ledit pays, à la demande des autorités chinoises qui demanderaient son extradition… Supposons un journaliste belge spécialisé dans les affaires du Proche‑Orient, qui publierait des informations embarrassantes pour Israël, que Jérusalem estimerait compromettantes pour sa sécurité nationale… De passage dans un pays africain redevable à Israël, ce journaliste serait interpellé à la demande d’Israël qui requerrait son extradition… À moins que ce même journaliste belge (ou anglais, ou français ou africain ou indien), ne publie des informations extrêmement embarrassantes pour l’Arabie saoudite, qui saisirait l’occasion de son passage dans un autre état du Golfe ou en Égypte pour demander son arrestation et son extradition… Ou encore un journaliste américain qui publierait des informations très confidentielles sur des opérations secrètes criminelles de l’armée indienne et que New Delhi tente de faire arrêter et extrader lors d’un voyage, par exemple, en Thaïlande… Voilà ce qui pend au nez de tous les journalistes si Julian Assange — journaliste australien — arrêté en Grande‑Bretagne, est extradé de la Grande‑Bretagne vers les États‑Unis pour avoir — comme responsable de _Wikileaks_ — publié des informations que les États‑Unis estiment dommageables pour leur sécurité. [_La Libre_] Allan Rusbridger, l’ex‑rédacteur en chef du _Guardian_, estime que les gouvernements du monde entier, y compris les États‑Unis, le Royaume‑Uni et l’Australie, « ont déjà la volonté d’interdire tout type de reportage sur la sécurité nationale », en supprimant l’argument de la défense de l’intérêt public et — ou en imposant leur propre définition de l’intérêt public — en rendant illégal, non seulement de publier des documents, mais même de les recevoir. [_La Libre_] Nous savons déjà comment les États‑Unis utilisent leur droit de façon extraterritoriale dans de nombreux dossiers — ils viennent même de sanctionner le procureur de la Cour pénale internationale qui enquête sur des crimes de guerre commis en Afghanistan, pas seulement par des terroristes islamistes, mais aussi par des troupes américaines… Cette offensive va [s’étendre aux médias comme _La Libre_](https://www.lalibre.be/debats/opinions/pourquoi-l-enjeu-du-proces-de-julian-assange-est-crucial-5f521e119978e2322f6a8eb7). # Fin des auditions À présent, la phase d’audition des témoins est terminée. La défense dispose de quatre semaines pour transmettre à la juge ses conclusions générales. L’accusation disposera ensuite de deux semaines pour y répondre. La cour rendra son verdict le 4 janvier 2021 à 11 heures. [_Mediapart_] Sources : - [_Mediapart_ (article pour abonnés)] : [Aux États‑Unis, le spectre d’un calvaire carcéral pour Julian Assange](https://www.mediapart.fr/journal/international/031020/aux-etats-unis-le-spectre-d-un-calvaire-carceral-pour-julian-assange). [1]: _[Les Pendus de Londres](https://luxediteur.com/catalogue/pendus-de-londres/)_, une histoire sociale du crime et de la peine capitale par les petits papiers de la Cour criminelle d’Old Bailey.